Accueillir, ce n’est pas un détail
- Audrey Lessard

- il y a 6 jours
- 5 min de lecture

On met beaucoup d’énergie à recruter, à attirer, à convaincre, à choisir.
Mais beaucoup moins à accueillir.
Et pourtant, les premières journées dans un nouvel emploi sont déterminantes. C’est là que se crée, ou non, la confiance. C’est là que se joue le sentiment de sécurité, que se posent les bases de la réussite ou du désengagement.
Quand l’accueil repose sur la mémoire
À plusieurs reprises dans ma carrière, dans des contextes très différents, on m’a demandé d’accueillir un nouvel employé.
J’ai toujours accepté, j’aime transmettre et structurer.
Mais presque chaque fois, la même réalité revenait. On me disait: « Tu vas t’occuper de la formation. »
Alors je posais des questions simples:
Où sont les outils?
Y a-t-il un guide?
Une check-list?
Une structure claire pour les premières journées?
Des fois, je savais la réponse l'ayant vécu moi-même à mon arrivée ;)
Souvent, les réponses étaient éparpillées, du style, un document ici, un PDF quelque part.
une information « qu’on se dit de mémoire ».
Et une fois, la situation a été encore plus flagrante.
La personne qui accueillait habituellement les nouveaux employés était malade. On m’a demandé, le matin même: « Est-ce que tu peux accueillir la nouvelle personne
aujourd’hui ? »
Bien sûr.
Mais quand j’ai demandé: Qu’est-ce qu’on lui remet comme outils? Avons-nous un guide, une structure?
La réponse a été: « Non on y va comme ça, de mémoire. »
Et là, je me suis dit: voyons donc.
Quand tout repose sur une seule personne, ce n’est pas sérieux, c’est broche à foin.
Ce qu’on oublie souvent après l’embauche
Ce qui est frappant, c’est que dans beaucoup d’organisations, la formation est bien structurée. Mais le processus d’accueil, les premières journées, celles qui sont critiques, passent souvent sous le radar.
Or, un nouvel employé est un client interne.
Exactement comme en service à la clientèle.
Si tu arrives quelque part comme client et qu’on te dit: « Ça doit être dans telle rangée. »
ou « Ce n’est pas moi qui gère ça, quelqu’un d’autre, probablement. »
Le message est clair: ce n’est pas très organisé ici. T'as probablement de nombreux exemples du même genre aussi.
À l’inverse, quand quelqu’un arrive et reçoit:
des outils préparés
un guide simple
une structure claire
même une pochette avec l’essentiel pour prendre des notes
Ça ne coûte pas cher, mais ça change tout.
Ces petits gestes deviennent selon moi des signaux forts de sérieux, de respect.
Ce n’était pas une journée de performance
C’est pour ça que, lorsque j’accueillais un nouvel employé dans mon ancien poste, la première journée était toujours différente.
Ce n’était pas une journée de performance.
C’était une journée de création.
On créait une relation.
On prenait, moi et aussi toute l'équipe, le temps d’expliquer la vision, de remettre les outils et de s’assurer que les accès étaient fonctionnels.
Et surtout, je posais des questions simples, mais fondamentales: Comment tu apprends le mieux ? De quoi as-tu besoin pour bien t’intégrer?
De mon côté, je suis très visuelle, alors si on m’explique quelque chose sans support visuel, je comprends, mais les liens se font plus difficilement. Le dire dès le départ ouvrait la porte à l’autre pour nommer sa propre façon d’apprendre.
Je demandais aussi: Comment préfères-tu recevoir de la rétroaction? En groupe, en privé, par courriel, en rencontre one-on-one?
Pour certains, la reconnaissance publique est stimulante, mais pour d’autres, elle est profondément inconfortable. Ce n’est pas un caprice.
Il ne s’agit pas d’imposer une structure rigide, mais de créer un cadre suffisamment clair pour que chacun puisse ensuite s’exprimer à sa façon.
Les personnes que j’accompagne ont des profils variés, mais une chose revient souvent: l’accueil donne très vite le ton de ce qui sera possible par la suite, soit un vrai wow, soit un premier red flag.
Ce n’est pas qu’une impression ou une sensibilité personnelle.
Quand le cadre permet aux forces d’émerger
Ce que j’ai observé sur le terrain et dans ma vie personnelle rejoint aussi des travaux en psychologie du travail, notamment ceux d’Amanda Kirby et Nancy Doyle, psychologues du travail affiliées à Birkbeck, University of London.
Parmi les profils neurodivergents, les auteures s’appuient sur deux exemples parmi d’autres, le TDAH et l’autisme, pour illustrer comment le cadre transforme l’expérience de travail. Par exemple, chez des personnes avec un TDAH, ce qui est parfois perçu comme une difficulté à rester concentré longtemps peut aussi se traduire par une grande vigilance, une capacité à repérer rapidement des détails, à mobiliser beaucoup d’énergie interne et à performer dans des contextes dynamiques ou sous pression.
Ces forces sont particulièrement utiles dans des environnements où il faut réagir vite, garder une vue d’ensemble ou s’adapter en temps réel comme en salle de classe, en milieu clinique ou d’urgence, sur un chantier, ou dans des rôles où l’attention, la présence et la réactivité sont essentielles.
Du côté de l’autisme, elles décrivent que ce qu’on perçoit souvent comme de la rigidité peut devenir une force remarquable lorsque le cadre est clair: capacité à suivre des processus avec précision, à repérer des erreurs, à maintenir une attention soutenue, à comprendre rapidement ce qui se passe, à faire des liens et à voir l’ensemble plutôt que des éléments isolés.
Selon les auteures, ces qualités sont particulièrement précieuses dans des domaines comme les médias, le droit, la finance, la technologie, l’ingénierie, la logistique, la planification, l’édition, le travail de laboratoire, la conformité ou toute fonction où la rigueur, la cohérence et la vision d’ensemble sont nécessaires.
Bien sûr, ces profils viennent aussi avec des défis, expliquent-elles. En l’absence de structure claire, une personne avec un TDAH peut être plus facilement distraite par le bruit, les mouvements ou la désorganisation ambiante. Une personne autiste peut se sentir coincée par des façons de faire qui ne sont jamais vraiment expliquées, des règles floues ou des attentes contradictoires.
Autrement dit, les défis ne viennent pas de nulle part. Ils apparaissent souvent quand l’environnement ne soutient pas la personne.
Ce qu’il faut, ce n’est pas un cadre rigide, mais un cadre clair. Le reste peut s’ajuster.
Et ce n’est pas seulement théorique, je le sais pour moi aussi , quand les repères sont clairs, je fonctionne mieux. Et je doute fortement d’être la seule.
C’est exactement là que l’accueil devient déterminant. Dans les premiers jours, quand on ne connaît encore personne. Quand on observe, on écoute, on essaie de comprendre comment “ça marche ici”, qu'on essaie de lire les gens, les règles non écrites.
Un cadre clair sécurise.
Un cadre flou gruge de l’énergie.
Et cette fatigue-là, elle n’a rien à voir avec la compétence.
L’inclusion commence dans l’accueil
C’est là que l’inclusion devient réelle, tout est dans l’expérience vécue.
On ne se souvient pas toujours de tout ce qu’on nous a dit.
Mais on se souvient longtemps de comment on s’est senti. (Une idée souvent attribuée à Maya Angelou.)
Accueillir, ce n’est pas seulement dire « bienvenue », c’est sécuriser, clarifier, structurer, prendre le temps. C’est créer les conditions pour que la personne puisse réussir avant même de parler de performance.
Et la bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas théorique. On le voit dans certaines organisations, ici comme ailleurs, souvent citées pour la qualité de leur culture ou de leurs pratiques réellement inclusives, que l’accueil est pensé comme une continuité du recrutement et non comme une simple formalité administrative.
Ces organisations investissent dans la clarté des rôles, des attentes et des façons de faire, la préparation des outils et la qualité de la relation dès les premiers jours. Parce qu’elles ont compris que c’est là que se joue une grande partie de l’engagement et de la réussite à long terme.
Alors la question se pose, simplement: chez vous, qui est réellement responsable de l’accueil d’un nouvel employé et comment s’assure-t-on que ce soit clair et humain?





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